08. Méthode de Pratique

Bien qu’il y ait de nombreuses méthodes dont la pratique vise à réaliser le Non-Soi, je n’en présenterai que deux dans le cadre de ce livre : l’une utilise la réflexion analytique en suivant la dialectique de l’école du Milieu (Madhymika), la seconde applique les Quatres Fondements de l’Attention.

I. Selon l’école du Milieu

La technique de méditation que je vous présente ici est largement utilisée ches les Gelougpas, l’une des principales écoles du Bouddhisme tibétain (30) , et il s’agit de contempler quatres sujets, ou quatres étapes.

Avant de commencer une pratique, quelle qu’elle soit, nous devons développer la Bodhicitta, c’est-à-dire l’aspiration à devenir un Bouddha pour pouvoir sauver les êtres sensibles.

Au cours des millénaires, tous les êtres sensibles ont un jour été notre père ou notre mère. Aveuglés par l’ignorance, ils errent encore dans le cycle des renaissances. Ensuite, nous pensons et rendons hommage aux Bouddhas, aux Bodhisattvas et à tous les maîtres et patriarches qui nous ont enseigné la voie, directement ou indirectement, et nous les prions de nous accorder leurs bénédictions pour que nous puissions rapidement réaliser l’Eveil.

De même, après n’importe quelle pratique, nous ne devons pas oublier d’en dédier le mérite à notre réalisation de l’état de Bouddha et au bonheur des êtres en souhaitant qu’ils demeurent dans la paix, la joie, et qu’ils atteignent rapidement la rive de l’Eveil.

Les quatres étapes de la méditation sont :

  1. Appréhender clairement l’objet à réfuter,
  2. Le déterminer,
  3. Il n’est pas un,
  4. Il n’est pas différent.

1. Appréhender clairement l’objet à réfuter

L’objet à réfuter ici n’est autre que le ” Je ” ayant une existence intrinsèque, une nature propre. Rappelons qu’il y a deux sortes de ” Je ” :

  1. Un ” Je ” qui semble réel, qui semble avoir une existence intrinsèque, ne dépendre ni des lois karmiques, ni des cinq agrégats, et diriger le corps et l’esprit. Ce ” Je ” là est une vue fausse, une création de l’ignorance, et c’est donc notre objet de réfutation. Ce ” Je ” n’a jamais eu la moindre existence réelle, pourtant c’est en s’agrippant à ce mirage que les êtres créent toutes leurs souffrances.
  2. Un ” Je ” conventionnel, désignant la combinaison des 5 agrégats, fort utile pour différencier et identifier les individus au sein d’un groupe.

Lorsque le premier ” Je ” est compris et réfuté, le second ” Je ” ne présente plus le moindre danger.

Nous devrions également définir le terme ” réfuter “. Si nous réfutons, si nous nions l’existence d’un objet réel, nous tombons dans le nihilisme. Dans le cas du ” Je ” intrinsèque, celui-ci n’a jamais eu d’existence réelle et c’est à cause de leur ignorance que les êtres croient qu’il existe vraiment. Réfuter ce ” Je ” intrinsèque n’équivaut pas à refuser la réalité, mais au contraire à rejeter une vue erronée. Réfuter ce ” Je ” là , c’est comprendre le Non-Soi. Le Non-Soi signifie qu’un ” Je ” possédant une existence indépendante n’existe pas. Cependant, avant de pouvoir réfuter ce ” Je “, nous devons comprendre clairement quand et de quelle manière il apparait, sans quoi nous essayerions d’attraper un voleur sans savoir à quoi il ressemble !

Lorsque vous allez faire des courses, vous dites ” Je vais faire des courses “. Ce ” Je ” que vous venez d’utiliser, à quelle catégorie appartient-il ? Il s’agit d’un ” Je ” conventionnel, car il y a bien un corps qui se rend au marché. Le ” Je ” est dans ce cas assimilé au corps dont il dépend. De ce fait, ce ” Je ” n’est pas notre objet de réfutation. Essayons de déterminer quand le ” Je ” apparait ou se manifeste isolé, sans rapport avec le corps ou l’esprit. Ceci se produit lorsque vous vous sentez injustement accusé, insulté, ou que vous êtes sous l’emprise d’une émotion, du plaisir. Si par exemple quelqu’un vous insulte, vous vous sentez mal à l’aise et irrité : ” Pourquoi m’insulte-t’il ? ” Si vous y prêtez attention, vous constaterez qu’à ce moment là, un ” Je ” semble clairement exister indépendemment du corps et de l’esprit. C’est ce ” Je ” qui est insulté, qui est attaqué, et non le corps ou l’esprit. L’autre n’insulte pas mon corps, il n’insulte pas plus mon esprit, c’est ” moi ” qu’il insulte ! Ce ” moi ” n’est autre que l e ” Je ” intrinsèque que nous devons réfuter, car il n’est rien d’autre qu’une illusion de l’esprit.

Souvent, lorsque vous rentrez fatigué du travail, vous vous dites : ” Je dois me reposer pour détendre mon corps et mon esprit “. Voyez-vous les trois éléments que contient cette phrase ? Il y a un ” Je ” qui joue un rôle actif, ainsi qu’un corps et un esprit subordonnés à ce ” Je ” et dirigés par lui. Ce ” Je ” qui semble avoir une existence intrinsèque doit être réfuté.

Ces deux exemples simples nous permettent de mieux comprendre ce qu’est le ” Je ” intrinsèque,existant, indépendant.

Au cours de cette première phase, aiguisez votre attention pour noter l’apparition et la manifestation de ce ” Je ” intrinsèque dans votre vie quotidienne. Lorsque noter l’apparition du Je intrinsèque vous sera devenu familier, vous pourrez consacrer vos scéances de méditation pour le contempler. Au début de la scéance de méditation, suivez votre respiration pour calmer votre esprit. Ce n’est que lorsque vous avez atteint cet état de calme que vous pouvez ” extirper ” ce ” Je “, faisant en sorte qu’il se manifeste pour pouvoir le contempler (en pensant par exemple à des occasions de tristesse, de colère, d’amour, de haine en rapport avec ce ” Je “). Manoeuvrez cependant avec délicatesse, car l’entreprise n’est pas facile. Si votre concentration est trop intense, si vous suivez votre respiration avec toute votre attention et demeurez dans un état de grande sérénité, vous n’aurez pas envie de déclencher la moindre pensée et vous ne pourrez donc pas amener le ” Je ” sur le devant de la scène. Par contre, si votre concentration est insuffisante, susciter l’apparition du ” Je ” sera prématuré, car c’est lui qui risque de vous entraîner et de vous faire son cinéma, vous faisant rire ou pleurer des scènes de votre vie ! Vous pouvez dès lors dire au revoir à votre scéance de méditation

2. Déterminer l’objet

Dans la première étape, vous découvrez un Je qui semble exister de manière inhérente, de son propre côté. Dans la deuxième étape, vous allez essayer de le cerner. Si le Je existe de la façon dont il apparait, il sera forcément soit un avec l’esprit et le corps (ou les 5 agrégats), soit différent d’eux. Si le Je est un avec l’esprit, il s’ensuit que, cherchant à cerner l’esprit, vous trouverez du même coup le Je. Si le Je étant un avec le corps, lorsque vous désignez le corps, vous montrez également le Je. Par contre, si le Je était une entité séparée du corps et de l’esprit, vous seriez alors en mesure de montrer l’esprit et le corps “ici” et le Je “là-bas”.

Prenons un exemple. Vous rencontrez en rue un policier qui vous demande vos papiers. Vous allez chercher vos papiers dans l’une des poches de votre veste. Votre veste a deux poches : une à droite, une à gauche. Si vos papiers sont dans votre veste, ils doivent nécessairement se trouver soit dans la poche droite, soit dans la poche gauche. Ils ne peuvent se trouver à la fois dans l’une et dans l’autre. Si vous ne les trouvez pas dans la poche droite, ils se trouvent certainement dans la poche gauche. S’ils ne se trouvent pas dans la poche gauche, c’est qu’ils ne se trouvent pas dans votre veste.

Revenons à notre ” Je ” indépendant, intrinsèque. Là où nous trouvons la réunion des 5 agrégats, il nous semble y avoir un ” Je “. S’il existe vraiment, il ne peut être qu’un avec les agrégats ou différent d’eux. Vous devez admettre, déterminer qu’il ne peut tomber que dans l’un ou l’autre de ces deux cas, il n’y a pas de troisième alternative. Il ne peut pas à la fois être les 5 agrégats et être différent d’eux. S’il n’est ni un ni multiple, vous devrez en déduire qu’il n’a pas de réalité, qu’il n’existe pas.

3. Il n’est pas Un

Si le ” Je ” intrinsèque se confond avec les 5 agrégats, deux cas peuvent se présenter :

  1. soit il se confond avec tous les 5 agrégats pris dans leur ensemble.

    Le ” Je ” est un. Les 5 agrégats sont multiples, car la forme n’est pas la sensation, la sensation est distincte de la perception, la perception est distincte des formations mentales et les formations mentales ne sont pas la conscience. Une unité ne peut être une pluralité, ce serait une absurdité. Si le ” Je ” se confond avec les 5 agrégats, ceux-ci doivent être une seule et même chose, ce qui implique qu’il n’y aurait pas de différence entre la forme, la sensation, la perception, les formations mentales et la conscience. Mais si la forme ne diffère pas des formations mentales, cela voudrait dire qu’une main pourrait penser. Si la forme se confond avec les perceptions, un orteil pourrait voir un paysage !

  2. soit il se confond avec chacun des 5 agrégats pris séparément.

    Si la forme est le ” Je “, que sont donc les 4 autres agrégats ? Si le ” Je ” peut être identifié au corps, il ne peut en même temps être l’esprit. Souvenez-vous de l’exemple des papiers d’identité et des deux poches. Rappelons encore que le ” Je ” dont il est question ici n’est pas le ” Je ” conventionnel, mais le ” Je ” qui semble avoir une existence intrinsèque, indépendante. ” Intrinsèque ” signifie qu’il ne dépend pas des connexions karmiques, qu’il existe seul, comme une entité homogène. Mais une entité homogène ne peut à la fois être une chose et une autre.

Certains d’entre nous pensent que l’esprit est le ” Je “. Mais dans ce cas, qu’est donc le corps ? Si le ” Je ” est l’esprit, il ne peut en même temps être le corps, mais s’il est différent du corps, pourquoi disons-nous ” J’ai mal au pied ” lorsque nous marchons sur un clou ? C’est la deuxième absurdité.

D’autres pensent que le ” Je ” est à chercher au sein des 5 agrégats entre lesquels il circule. Si vous vous trouvez dans une maison à 5 pièces, je vous accorde que vous pouvez allez et venir d’une pièce à l’autre, mais vous devez pouvoir voir ce qu’il y a dans chaque pièce. Donc, si le ” Je ” se trouve dans les 5 agrégats et qu’il passe de l’un à l’autre, le ” Je ” doit pouvoir également voir le coeur, le foie, les poumons, etc … ce qui est un nouveau non-sens.

Par ailleurs, si vous êtes d’avis que le ” Je ” est identifiable aux 5 agrégats, qu’il est un avec le complexe physico-psychique, pourquoi dites-vous dans ce cas : ” Mon corps “, ou ” Mon esprit ” ? Car ceci laisse sous-entendre que le corps, l’esprit et le ” Je ” sont distincts.

Enfin, dire que le ” Je ” correspond aux 5 agrégats, au corps et à l’esprit, implique que si le ” Je ” veut quelque chose, le corps et l’esprit doivent lui obéir. S’il en est ainsi, comment se fait-il qu’un ordre du ” Je ” ne parvienne pas à stopper un mal au ventre ?

Je n’ai énuméré ici que quelques exemples de la manière dont nous pouvons réfuter l’identité du ” Je ” intrinsèque et des 5 agrégats.

4. Il n’est pas différent

Précisons la définition du terme ” différent “. ” Différent ” peut signifier deux choses :

  1. distinct, qui ne ressemble pas à quelque chose qui sert de point de comparaison,
  2. indépendant, séparé, qui ne fait pas partie de.

Par exemple, les pneus sont ” différents ” que la voiture, en ce sens qu’ils diffèrent du corps de la voiture, mais ils ne sont cependant pas séparés d’elle, les pneus et la voiture conservant un rapport étroit entre eux. Par contre, une rose et une voiture sont ” différent ” dans les deux sens du mot, à la fois distinctes et séparées.

Notre ” Je ” conventionnel est distinct des 5 agrégats, mais il n’en est pas séparé, car il n’est qu’une étiquette conventionnelle appliquée aux 5 agrégats. Ils ont entre eux des rapports étroits, tout comme les pneus et la voiture.
Quant au ” Je ” intrinsèque, il est ” différent ” dans les deux sens du terme, à la fois distinct et séparé.

Les termes ” intrinsèque ” ou ” nature propre ” sont très importants, car si nous ne les comprenons pas clairement, notre méditation risque de rester un simple jeu intellectuel .

Comme nous l’avons dit précédemment, avoir une nature propre signifie avoir une existence indépendante, exister en soi, sans dépendre d’aucun autre facteur, d’aucune cause ou conditions.

Si le ” Je ” intrinsèque est différent des 5 agrégats, cela veut dire qu’il n’y a aucune relation entre eux, que nous pouvons distinguer d’une part un ” Je ” intrinsèque, d’autre part les 5 agrégats, aussi clairement que nous pourrions distinguer une fleur d’un stylo.

Cependant, si vous le séparez des 5 agrégats, pouvez-vous indiquer où se trouve le ” Je ” ?

C’est impossible ! C’est pour cette raison que le ” Je ” et les 5 agrégats ne sont pas deux choses différentes.

Une table et vous sont deux choses différentes, de sorte que si l’on coupe la table à la hache, vous n’en souffrez pas. De même, si les 5 agrégats et le ” Je ” étaient deux choses différentes,

le ” Je ” ne devrait éprouver aucune douleur quand on vous tranche un pied. Mais qu’en est-il en réalité ?

Nous en arrivons à la conclusion que le ” Je et les 5 agrégats ne sont pas deux choses distinctes. En dehors des 5 agrégats, nous ne pouvons trouver le ” Je ” nulle part.

Résumons les 4 étapes de notre méditation :

  1. Identifier clairement ce qu’est le ” Je ” intrinsèque,
  2. Arriver à la conclusion que si le ” Je ” existe, il ne peut logiquement qu’être identique aux 5 agrégats, ou en être distinct,
  3. Cherchant le ” Je ” dans les 5 agrégats, nous ne l’y trouvons pas,
  4. Cherchant le ” Je ” en dehors des 5 agrégats, nous ne l’y trouvons pas non plus.

Ayant ainsi cherché le ” Je ” en vain, demeurez dans cet état où vous ne le trouvez nulle part. Nous pouvons appeler cet état la ” méditation du Non-Soi “. Si des pensées s’élèvent et viennent le perturber, vous devez reprendre la méditation depuis le début, c’est-à-dire recommencer à essayer de localiser le ” Je “. Lorsque vous l’aurez cherché jusqu’à ne le trouver nulle part, demeurez à nouveau le plus longtemps possible dans cet état où vous ” ne voyez pas le ” Je ” “. Ce n’est pas un état néant ou un vide complet, mais un état où l’on ne perçoit nulle part de ” Je “. Plus longtemps vous parviendrez à rester dans cet état, plus votre attachement au ” Je ” intrinsèque s’amenuisera.

En dehors des sessions de méditation, que vous soyiez debout, assis, couché ou en mouvement, vous continuez de bénéficier des effets de la ” Méditation du Non-soi “, qui vous permettra d’échapper à l’illusion de l’existence d’un ” Je ” intrinsèque et de comprendre clairement qu’il ne s’agit que d’un ” Je ” conventionnel.

Le point essentiel de cette méthode méditative est de comprendre parfaitement la différence entre les deux sortes de ” Je ” : le ” Je ” qui semble avoir une existence intrinsèque, et le ” Je ” conventionnel. Comprendre cette différence constitue la base même de cette méthode et c’est la condition requise pour qu’elle porte ses fruits.

Il faut aussi établir une distinction entre compréhension intellectuelle et réalisation. Comprendre le Non-Soi, avoir atteint la ferme conviction qu’il n’y a pas de ” Je ” intrinsèque ne signifie pas que l’on ait réalisé l’Eveil ni que l’on devienne un Arhat ou un Bodhisattva immédiatement. Cette compréhension n’est que le premier pas, et il faut continuer de méditer sans arrêt, jusqu’à ce que l’on soit imprégné du Non-Soi, et que quoi que l’on fasse, nous ne percevions de ” Je ” intrinsèque à aucun moment, que notre esprit demeure toujours dans l’état méditatif du Non-Soi. C’est alors seulement que l’on considère avoir réalisé et parfait le Non-Soi. Cette remarque est importante : parler du Dharma en théorie est facile, le mettre vraiment en pratique est autrement complexe !

Cette méthode de méditation selon l’école du Milieu est analytique et fait largement appel à l’intellect, au raisonnement. S’il vous semble manquer d’intelligence, vous pouvez adresser vos prières au Bodhisattva Manjoushri, qui est l’incarnation de la Grande Sagesse Transcendentale et qui enseigne aux Bouddhas des trois temps.

Les bouddhistes vietnamiens n’accordent pas une attention particulière à ce grand Bodhisattva, préférant tourner leurs prières vers le Bodhisattva de la compassion Avalokiteshvara pour qu’Il les sauve du malheur et de la souffrance. Mais sauver qui du malheur et de la souffrance ? Si nous y regardons de plus près, c’est la peur pour notre malheureux ” Je ” qui nous motive, la peur qu’il ne tombe malade, qu’il ne souffre, qu’il ne soit victime d’un accident ou de la malchance. Or si nous souffrons, c’est précisément parce que dans notre ignorance nous nous attachons à un ” Je ” et créons ainsi du karma négatif aux conséquences duquel nous ne pouvons échapper. Si nous possédions la sagesse, nous ne pourrions créer de mauvais karma et nous n’aurions pas à en subir les effets pénibles. Il est dit que ” Les Bodhisattvas craignent la cause, les êtres sensibles craignent les effets “. Au lieu de cultiver la sagesse, les êtres dans leur aveuglement ne se soucient que de créer les causes de souffrances futures pour ensuite venir se lamenter et supplier qu’on les sauve !

Autrefois, dans toutes les écoles bouddhistes de l’Inde, du Tibet et de la Mongolie, avant que ne commence le cours, tous les moines étudiants rendaient hommage à Manjoushri et récitaient son mantra aux 7 syllabes en le priant qu’Il les aide à éliminer l’ignorance de l’attachement au ” Je ” et aux phénomènes, qu’Il leur accorde rapidement la Sagesse qui permet de comprendre la vraie nature de tous les phénomènes.

Vous aussi, si vous le souhaitez, vous pouvez, chaque matin après vous être lavé le visage et rincé la bouche, rendre hommage à Manjoushri et répéter son mantra 7, 21 ou 100 fois en priant qu’Il vous accorde la Sagesse, qu’il vous aide à comprendre clairement les enseignements et à vaincre l’ignorance.

Je rends hommage à Manjoushri,
Roi du Dharma
Maître de tous les Bouddhas
Accordez-moi la Sagesse,
Dissipez l’ignorance
Que j’atteigne rapidement l’Eveil
” Om A Ra Pa Tsa Na Dhi ” (x 7, 21, 100)

Lorsque vous récitez pour la dernière fois le mantra ” Om A Ra Pa Tsa Na Dhi “, répétez la syllabe ” Dhi ” autant de fois que possible en une expiration.

Avant d’étudier les Soutras, de méditer sur le Non-Soi ou la Vacuité, pensez chaque fois à Manjoushri et récitez ses louanges, et votre sagesse augmentera certainement.

II. Méthode des 4 Fondements de l’Attention

Cette méthode tire sa source du Satipatthâna Soutra , qui est le dixième soutra du recueil Majjhima Nikaya, et du Maha-Satipatthâna Soutra (33) , qui est le vingt-deuxième soutra du Digha Nikaya (34) . En outre, j’ai écrit voici 3 ans un livre intitulé ” Thien Tu Niêm Xu ” (35) qui présente et explique cette méthode de pratique. Je n’y ai cependant pas mentionné les Trois Sceaux du Dharma (Impermanence, Souffrance et Non-Soi), mais j’ai seulement insisté sur la manière de pratiquer l’attention (noter ce qui se passe de façon objective), dans l’intention d’encourager une pratique personnelle menant à la réalisation, ou la recherche d’un maître spirituel pour vous guider.

En parlant des Quatre Fondements de l’Attention, je vais cette fois insister sur les aspects de cette pratique qui ont plus spécifiquement trait au Non-Soi.

Que sont les Quatres Fondements de l’Attention ?

Il s’agit des quatres domaines qui constituent l’objet de la contemplation, qui sont : le corps, les sensations, l’esprit et les phénomènes. Contempler signifie ici observer attentivement et noter.

Observer attentivement le corps et ce qui s’y rattache, c’est l’attention au corps (kayanupassana).

Lorsque l’on observe attentivement et que l’on note les sensations, c’est ce que l’on appelle l’attention aux sensations (vedananupassana).

Observer attentivement et noter les états par lesquels passe l’esprit, c’est l’attention à l’esprit (cittanupassana).

Lorsque l’on observe attentivement et qu’on note les phénomènes qui constituent l’objet de l’esprit, cela s’appelle l’attention aux phénomènes (dhammanupassana).

L’essentiel ici est l’attention (sati) et la concentration (anupassana), et c’est pour cette raison que l’on parle dans ce contexte de vision pénétrante (vipassana). Comme cette vision doit être objective, elle est aussi appelée en pali ” samma-sati “.

1. L’attention au corps

Le pratiquant prend conscience du corps au niveau même du corps. Cette observation attentive du corps comprend l’attention à la respiration, aux quatre stations (debout, couché, assis, en mouvement), aux activités habituelles (manger, s’habiller, etc…), aux organes du corps (coeur, foie, poumons, reins, intestins, …), aux 4 éléments et aux neuf stades de décomposition d’un cadavre.

2. L’attention aux sensations

Le pratiquant prend conscience des sensations au niveau même des sensations, c’est-à-dire qu’il observe attentivement et note de manière objective les sensations qu’il éprouve : agréables, douloureuses, indifférentes, ainsi que la manière dont elles apparaissent et disparaissent. Par exemple, lorsqu’apparait une sensation agréable, le pratiquant en prend immédiatement conscience et constate : ” il y a une sensation agréable “. De la même manière, le pratiquant prend conscience de toutes les autres sensations et les expérimente telles quelles d’ une conscience éveillée.

3. L’attention à l’esprit

Le pratiquant prend conscience de l’esprit au niveau même de l’esprit. Chaque fois qu’une pensée s’élève dans l’esprit, le pratiquant en prend immédiatement conscience et le remarque. Qu’elles soient bonnes ou mauvaises peu importe, le pratiquant observe, suit et regarde les pensées sans jugement appréciatif ou désaprobateur.

4. L’attention aux phénomènes

Le pratiquant observe l’objet de la conscience au niveau même de l’objet de la conscience. L’objet de la conscience comprend ici :

– Les 5 obstacles que sont : le désir-attachement, la haine-colère, la léthargie, l’excitabilité et le doute.

– Les 5 agrégats qui sont : forme, sensation, perception, formations mentales et conscience.

– Les 6 organes des sens et leurs objets respectifs : yeux – formes, oreilles – sons, nez – odeurs, langue – saveurs, toucher – objets, esprit – pensées.

– Les 7 facteurs de l’Eveil : attention, foi, énergie, joie, tranquilité, recueillement, équanimité.

– Les 4 Nobles Vérités : souffrance, origine de la souffrance, cessation de la souffrance, voie qui mène à l’extinction de la souffrance.

Insistons sur la nécessité de pratiquer les Quatre Fondements de l’Attention de manière objective, ce qui veut dire que le pratiquant se contente d’observer de façon neutre, sans se laisser emporter par ce qu’il observe, sans avoir l’impression qu’un rapport existe entre lui et ce qu’il observe.

Ceci n’est qu’un bref résumé des soutras. En ce qui concerne la pratique proprement dite, je conseille le lecteur de se référer à mon livre précédent, ” La Méditation des Quatre Fondements de l’Attention “.

Les Quatre Fondements de l’Attention et le Non-Soi
Pratiquer les Quatre Fondements de l’Attention de manière correcte, assidue et continue conduira certainement à la réalisation des 3 Sceaux du Dharma, c’est-à-dire à réaliser que la nature des 5 agrégats est impermanence, souffrance et absence de Soi.

D’après mon expérience, celui qui pratique cette méthode doit connaître les notions de base du Bouddhisme ou être guidé directement par un maître Zen pour que sa pratique porte rapidement ses fruits. Avant de choisir une pratique particulière, nous devons savoir quels résultats elle est sensée apporter. Une méthode n’est jamais qu’un moyen pour atteindre un but. Si nous voulons comprendre et réaliser le Non-Soi, les Quatre Fondements de l’Attention sont un excellent moyen qui participe à la réalisation subite (éveil direct) et qui aide le pratiquant à percevoir directement le caractère impermanent et ” sans maître ” (non dirigé) des 5 agrégats, sans qu’il ait besoin de faire appel à l’intellect.

1. L’attention au corps

Lorsqu’il marche, le pratiquant constate : ” Marche! Il y a déplacement ! ou Les jambes marchent ! ” Au début, il se peut que vous n’y prêtiez pas attention, mais après un certain temps, vous remarquerez que cette constatation vous fait réaliser que la mouvement est bien une réalité, mais que dans ce mouvement, il n’y a pas quelqu’un qui est en train de marcher ! Il n’y a pas un ” Je ” qui marche ! Pourquoi ? Parce que c’est une action ” sans maître “, c’est le mouvement coordonné du corps et de l’esprit. Si vous faites bien attention, vous remarquerez que ce déplacement commence par une idée : ” vouloir marcher ” qui agit sur le corps provoquant le mouvement des pieds qui se déplacent. Le jeu combiné du corps et de l’esprit créent la marche, d’où le caractère ” sans maître ” de celle-ci : il n’y a pas de ” Je ” qui marche.

2. L’attention à la sensation

Lorsque vous restez longtemps assis en posture de méditation, vous pouvez ressentir soudain une douleur dans les jambes. Ne pensez pas ” J’ai mal aux jambes ” ou ” Mes jambes me font souffrir “. Pourquoi ? Parce qu’en réalité, il n’y a pas le moindre ” Je ” qui ait mal aux jambes, pas plus qu’il n’y a de jambes qui appartiennent au ” Je ” ! Il n’y a qu’une sensation de douleur qui s’élève au niveau des jambes, et cette sensation va passer par quatre étapes : naissance, croissance, déclin et disparition. Si vous avez déjà quelques notions des 62 vues fausses concernant le ” Je “, vous saurez que l’une comme l’autre des deux pensées mentionnées ci-dessus sont des absurdités. ” Si Je n’ai pas mal aux jambes, qui a mal aux jambes ? ” Personne. Il n’y a qu’une sensation de douleur qui apparait, et un esprit, une conscience qui constate cette sensation, c’est tout.

3. L’attention à l’esprit

Si au cours de la méditation une pensée de désir sexuel s’élève, vous devez être attentif et le constater aussitôt : ” Il y a une pensée de désir sexuel  “, ou ” Voici une pensée de désir sexuel”. En ayant pris conscience, vous devez rester attentif pour voir si cette pensée continue ou si elle a déjà disparu. Si elle continue, notez son évolution. Tout au long de votre observation, il n’y a pas le moindre ” Je ” qui désire, il n’y a absolument personne qui désire.Ce n’est simplement qu’une pensée de désir sexuel qui s’élève dans l’esprit, c’est tout.

Grâce à cette compréhension, vous n’éprouverez ni irritation ni honte, et vous échapperez facilement à l’emprise du désir sexuel, sans avoir à le réprimer ou à vous tourmenter.

Ceux qui n’ont jamais pratiqué la vision pénétrante ou qui n’ont jamais appris à observer attentivement le mouvement des pensées, ne se rendent pas compte de l’apparition d’une pensée de désir sexuel, et cette inconscience permet à cette pensée de croître et de les entraîner.

Si par malheur la présence d’un objet extérieur excitant vient la renforcer, comme par exemple la présence d’une jolie femme, cette pensée risque de s’extérioriser et de conduire à l’acte – à moins qu’elle ne rencontre un obstacle ou une circonstance extérieure qui l’interrompe.

Le désir sexuel est le plus grand obstacle du pratiquant qui veut atteindre l’Eveil. Celui qui en possède la volonté doit méditer sur le Non-Soi avec assiduité ainsi que l’impureté du corps humain afin d’échapper à l’emprise du désir-attachement.

Que tous ceux qui se complaisent dans les plaisirs charnels y regardent de plus près : l’union d’un homme et d’une femme que le commun des mortels considère comme l’expression même de l’amour n’est rien que le contact entre deux corps ” sans maître ” qui provoque l’apparition d’une sensation ” sans maître “.

Une barre de fer incandescente plongée dans l’ eau émet un sifflement. Ce bruit appartient-il à l’eau ou à la barre de fer ?

Deux silex qui s’entrechoquent violemment produisent une étincelle. A laquelle de ces deux pierres appartient l’étincelle ?

De même, les êtres plongés dans l’ignorance, ne comprenant pas que les phénomènes sont dépourvus d’un Soi ou d’une instance directrice, croient en l’existence d’un ” Je ” qui fait l’amour, que le corps est ce ” Je “, et que la sensation de jouissance est le ” Je “, ou appartient au ” Je “, de sorte qu’ils poursuivent sans cesse la recherche du plaisir physique pour satisfaire un malheureux ” Je ” qui n’a jamais existé !

4. L’attention aux Phénomènes

La section du Satipatthâna Soutra qui traite de l’attention aux phénomènes énumère 5 thèmes de méditation, mais ici, je ne mentionnerai que quelques exemples concrets qui ont trait au Non-Soi.

Si vous êtes assis en méditation et que surgit un bruit extérieur, comme par exemple le bruit d’une voiture, constatez attentivement ” entendre, entendre, entendre ” (en vous appuyant sur l’organe, l’oreille) ou ” il y a un bruit ” (en vous appuyant sur l’objet, le son).

En dehors des scéances de méditation, si vous êtes par exemple insulté, constatez de même ” entendre, entendre, entendre “, ou ” il y a insulte “. En fait, il ne faudrait pas constater ” Il y a insulte “, car une telle remarque ne fait pas preuve d’objectivité. Mais si vous comprenez bien le Non-Soi et que vous en pratiquiez régulièrement la méditation, une telle remarque est inoffensive. De plus, qu’on le veuille ou non, la conscience humaine fonctionne sans jamais s’arrêter, sauf dans le sommeil profond, l’évanouissement, etc …. C’est pourquoi il n’est pas possible d’ignorer qu’il s’agit d’une insulte quand on nous en lance une !

Il y a certes insulte, mais il n’y a pas de coupable. Personne n’insulte personne ! Si vous posez un regard objectif sur la situation, vous constaterez qu’il y a de l’autre côté une pensée de colère qui s’élève, agit sur le corps, s’allie au souffle, au ventre, aux cordes vocales, à la bouche, à la langue, etc … pour donner naissance à la voix, ou plus exactement à une suite de sons. De ce côté-ci, l’oreille perçoit un son (perception auditive), identifie clairement le sens de chaque son (conscience auditive) et reconnait finalement qu’il s’agit d’une insulte (conscience).

Je ne donne ici qu’un aperçu général, mais à la longue, avec la pratique, vous verrez que ce que l’on appelle une insulte n’est qu’une suite de causes et d’effets qui apparaît ” sans maître “. Il s’agit ici de distinguer chacun des constituants de cette chaîne karmique. Pour y arriver, vous devez méditer le Non-Soi et pratiquer l’attention juste, c’est-à-dire observer attentivement et noter les quatre domaines que nous venons de passer en revue.

Une pratique correcte des Quatre Fondements de l’Attention vous donnera une vision objective des choses. Ne considérant plus votre corps comme étant le ” Je “, vous n’aurez plus tendance à le chérir et à vous y attacher. Ne prenant plus les sensations pour le ” Je “, vous ne poursuivrez plus le plaisir ni ne chasserez les sensations pénibles. Ayant abandonné la conception erronée de prendre vos pensées et vos réflexions pour le ” Je “, vous serez libéré du désir, de la colère, de la stupidité, de la joie, de la tristesse, du regret et de la honte.

Ne considérant plus que les phénomènes appartiennent au ” Je “, vous ne créez plus de karma négatif, vous êtes libre d’attachement, vous ne prenez ni ne rejetez rien.

En résumé, le pratiquant peut vivre de façon indépendante, sans plus s’accrocher à quoi que ce soit en ce monde, grâce à son détachement du ” Je ” et de ce qui lui appartient.

Lorsque la méditation du Non-Soi vous est devenue tout-à-fait familière, vous pouvez utiliser un ” truc  ” : chaque fois qu’apparait une émotion perturbatrice, le désir ou l’ignorance, utilisez le petit mot ” qui ? ” comme rappel.

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