Ayant réfléchi, contemplé et vu clairement la réalité de la souffrance, comment faire pour échapper à son emprise ? C’est le sujet central du bouddhisme et le véritable objectif de celui qui cherche la voie de l’éveil et de la libération.
D’habitude, lorsque nous fréquentons un centre bouddhiste (je ne parle pas ici des personnes qui s’y rendent pour y faire du bénévolat par plaisir), nous suivons en général les enseignements du Zen, nous pratiquons la ” Terre Pure ” ou le Tantrisme, suivant l’une ou l’autre voie en espérant rapidement réaliser l’éveil et la libération. Mais nous éveiller à quoi ? La libération de qui ? Avez-vous jamais essayé de remonter le cours de vos pensées ?
Dans mon livre ” Le Mahamoudra “, j’ai mentionné sommairement deux sortes de pensées ou de types de réflexion:
- La penséeà contre courant : il s’agit de pensées discriminatives qui analysent l’origine d’une chose. Ce type de réflexion fait partie de la Sagesse qui a le pouvoir de ramener l’esprit à sa nature originelle, ou à la réalité.
- Le cours normal de la pensée: ce sont les pensées qui entraînent l’esprit dans les réflexions et les calculs mondains, en rapport avec le ” Je “.
Si vous suivez le cours de vos pensées, vous constaterez qu’elles vont à l’infini, ne s’épuisant jamais, sauf si vous les interrompez ou que vous passez à un autre sujet. Par contre, si vous remontez le cours de vos pensées, vous verrez qu’à un certain moment, vous arriverez à une impasse, vous serez arrêté par un mur. Ce n’est autre que le mur de l’Ignorance. Si vous n’utilisez pas la clarté pénétrante de la Sagesse pour le percer, vous serez découragé et reviendrez au cours mondain normal de vos pensées habituelles.
Comment faire pour remonter le courant ? La méthode la plus simple est de vous poser des questions comme : pourquoi ? comment ? qui ? quoi ?
Pour rendre les choses plus claires, prenons ” la libération ” comme sujet de notre méditation à contre-courant :
– Pourquoi est-ce que je pratique ?
– Parce que je veux me libérer.
– Pourquoi vouloir se libérer ?
– A cause de la souffrance.
– Qui souffre ? Qu’est-ce qui me fait souffrir ?
– Je souffre. Je souffre à cause de la naissance, de la maladie et de la mort.
– Qui nait, vieillit, tombe malade et meurt ?
– Quelle question ! Je meurs, je vieillis, je tombe malade et je meurs. Qui d’autre ?
Une pierre pourrait-elle être sujette à cela ?
– Alors qui est ce ” Je ” ?
– ” Je “, c’est, heu …., c’est moi ! Je suis ” Je “.
” Qui suis-je ? “, ” Je suis ” Je ” “, voilà justement le mur de notre impasse.
Nous tous, bouddhistes, pourquoi devons-nous pratiquer ? Nous pratiquons parce que nous souffrons. Pourquoi souffrons-nous ? Simplement parce que nous avons ce ” Je “. S’il n’y avait pas de ” Je “, qui donc souffrirait ? Et si ” personne ” ne souffre, qui donc aurait besoin de suivre la Voie, qui voudrait se libérer ? S’il n’y a pas de ” Je “, qui donc naît et meurt ?
En résumé, l’origine même de la souffrance n’est autre que l’existence du ” Je “.
Lao Tseu a dit :
” Si j’ai tant de malheurs , c’est à cause de ce corps.
Si je n’avais pas ce corps, comment pourrait-il y avoir souffrance ? “
Pour Lao Tseu, le corps physique est à l’origine de la souffrance, mais si vous comprenez que c’est en fait le ” Je ” qui est la cause première de la souffrance, vous pouvez imiter Lao Tseu en disant :
” Si j’ai tant de malheurs, c’est à cause de ce ” Je “.
Si je n’avais pas de ” Je “, comment pourrait-il y avoir souffrance ? “
En général, on considère que ce sont les trois poisons – le désir, l’aversion et l’ignorance – qui sont la cause de la souffrance. L’origine de la souffrance peut être considérée selon différents niveaux de profondeur.
De façon superficielle, la souffrance trouve son origine dans les trois poisons ou les dix émotions perturbatrices qui sont : le désir, l’aversion, l’ignorance, l’orgueil, le doute, la croyance en la réalité du corps, l’éternalisme, le nihilisme, l’obstination, les vues hérétiques.
D’un point de vue plus profond, c’est le désir-attachement qui est à la base de la souffrance, et si nous allons au fond des choses, l’analyse révèle que c’est l’ignorance qui en est la cause première.
L’ignorance se manifeste sous deux formes : -l’attachement au ” Je “,
-l’attachement aux phénomènes.
L’attachement au ” Je ” est la croyance en l’existence réelle, intrinsèque d’un ” moi ” auquel on s’accroche.
L’attachement aux phénomènes consiste à penser que toute chose possède une nature propre, permanente et inchangée.
Ces deux formes d’attachement sont les deux maladies qui affectent les êtres sensibles depuis des temps sans commencement, et qui sont la cause principale des souffrances du samsara et tout l’enseignement du Bouddha vise à les éliminer.
Le Bouddhisme Theravada met l’accent sur l’éradication de l’attachement au ” Je “, tandis que le Bouddhisme Mahayana insiste quant à lui sur l’élimination de l’attachement aux phénomènes.